Groupes de parole en ligne,
CLIQUEZ ICI

L'épigénétique dans le don d'ovocytes

Un des grands dogmes de la biologie du XXe siècle a été de prononcer la stricte équivalence entre génotype et phénotype, c’est-à-dire entre le patrimoine génétique hérité et les caractères de l’organisme qui en résulte. Mais depuis lors, on a montré que des facteurs d’environnement exercent un contrôle sur l’expression des gènes, c’est le domaine de l’épigénétique, un champ de recherche complexe, en plein essor et où persistent beaucoup d’inconnues[1]. Certaines de ces modifications sont durables, et se transmettent de génération en génération, sans néanmoins que la séquence ADN de base soit modifiée en quoi que ce soit, c’est la « mémoire épigénétique ». Sans entrer dans le détail, plusieurs mécanismes sont à l’œuvre, un des plus courant étant la méthylation, la fixation d’un groupements méthyle (une petite molécule faite d’un atome de carbone et de 3 atomes d’hydrogène) sur un gène, ce qui va moduler son expression, par l’intermédiaire d’enzymes nommées DNMT (DNA-méthyl-transférases).

On a pu montrer que des facteurs externes, sociaux, nutritionnels ou toxicologiques, influencent les méthylations. Si celles-ci agissent en tant que processus normal du développement, qui commande la spécialisation cellulaire à partir de l’œuf fécondé, elles ont parfois des conséquences pathogènes, comme dans l’inhibition d’un gène suppresseur de tumeur. C’est au stade embryonnaire que la reprogrammation épigénétique, qui efface au moins partiellement les acquis antérieurs, est la plus active. Un stress, le tabac, un régime alimentaire carencé ou trop gras lors de la grossesse, vont déterminer, ce qui est logique, un trouble de développement chez l’embryon. L’enseignement tiré de la famine qu’a subie la Hollande en 1944 à la suite de l’inondation provoquée par l’armée allemande, va bien au-delà. D’abord, devenus adultes, les enfants ayant subi cette carence au stade précoce de l’embryogenèse ont présenté des maladies métaboliques (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires) que n’ont pas eu leurs frères et sœurs. Plus surprenant encore, les filles nées des mères ayant subi la famine ont à leur tour accouché de bébés plus petits, attestant d’un effet transgénérationnel[2]. On ignore toutefois, faute de recul, sur quelle profondeur de temps il peut opérer dans l’espèce humaine, mais certaines observations chez l’animal attestent de conséquences à très long terme[3].

Toujours est-il que l’exercice physique, la richesse du régime alimentaire, ou, comme nous l’avons montré au Cameroun[4], le fait de vivre en ville ou en forêt, modifient de façon réversible la méthylation du génome. De là, une femme donneuse d’ovocyte ne donne donc pas une cellule « neutre », vierge de toute influence, et réductible à la séquence génétique vectrice de sa contribution aux caractères somatiques de l’enfant, tels que la couleur des yeux ou des cheveux. Son ovule, déjà porteur d’une empreinte parentale, aura subi de multiples méthylations liées à son « exposome », une notion introduite en 2005, qui recouvre la totalité des facteurs de risques subis au cours de sa vie[5], et éventuellement de celle de ses ascendants.

Dans la FIV avec don d’ovocytes (FIVDO), il n’y a pas de traits communs entre la mère gestante et l’enfant (qui porte les caractères de sa mère biologique). Cependant, l’implantation dans son utérus de l’œuf fécondé va à son tour créer un environnement physique et émotionnel nouveau, au sein duquel d’autres méthylations pourraient avoir lieu, qui à leur tour renforceraient le lien néo-maternel, et influenceraient le développement fœtal. De sorte que certains témoignages évoquent une ressemblance entre les mères et leurs enfants issus du don d’ovocyte, en dépit de leur absence de parenté génétique. Une enquête anthropologique menée auprès des parents d’intention[6] a montré que ceux-ci « bricolent » une interprétation de l’épigénétique à leur façon pour mieux se convaincre d’un tel lien et « naturaliser » leur parenté sociale.  Pour résumer leur point de vue, la mère biologique, murée dans l’invisibilité de son anonymat, ne transmettrait « que » les gènes, tandis que la receveuse transmettrait « le sang » et donc la vie. Mais à l’inverse, dans le cas d’une GPA, tout l’intérêt des parents biologiques se recentrera sur leurs propres gamètes, et la mère « porteuse » sera pour eux ravalée au rang de simple support.

Le rôle épigénétique du gamète paternel est moins connu, mais on voit par exemple que l'ADN méthylé du sperme d'hommes obèses ayant bénéficié d’une chirurgie bariatrique est remodelé après l'opération[7]. Quoique certains effets soient encore très controversés, comme la transmission de traumatismes psychiques violents[8], tels que ceux vécus par les victimes de la Shoah ou du génocide rwandais, l’épigénétique s’implique dans de nombreux phénomènes, à commencer par les différences de trajectoire médicale existant entre les vrais jumeaux. Selon la belle formule de P. Medawar, « la génétique propose, l’épigénétique dispose ».

On sait que les grossesses par don d'ovocytes, a fortiori si elles sont multiples, sont davantage à risque[9] ; ainsi la fréquence de la pré-éclampsie, une maladie qui se caractérise par une tension artérielle élevée, est multipliée par quatre, passant de 2,8 % à 11,2 %. Et certaines mauvaises surprises peuvent survenir au cours développement de l’enfant. D’abord les caractères tant génétiques qu’épigénétiques hérités de la mère biologiques peuvent se révéler à tout moment, même tardivement. En outre, des effets de la cryoconservation, de l’hyperovulation, des méthodes de fécondation ou de la culture in vitro sur la reprogrammation épigénétique de l'embryon sont possibles[10]. Quelques observations en rapport avec un éventuel stress cellulaire, avec une légère augmentation des pathologies congénitales[11], vont dans ce sens, que ce soit pour la FIV ou l’ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïde dans l'ovocyte)[12], et tout cela n’est pas sans susciter une certaine « gêne éthique »[13].  Cependant, en l’état actuel de la science, et nonobstant l’absence de recul prolongé, on a des raisons de supposer que la qualité du mode de vie peut réparer des dégâts liés à l’histoire de vie familiale ou aux procédures de laboratoire.

Pour conclure, le don d’ovocyte et le transfert d’embryons sont des processus nouveaux, créés par la technique, donc totalement inédits dans l’évolution de notre espèce, puisqu’ils court-circuitent des cas d’infertilité que la sélection naturelle avait instaurée. Ces greffes fonctionnent néanmoins, parce qu’elles s’inscrivent dans les lois de la biologie, et constituent de fait un cadre quasi-expérimental pour saisir les mécanismes du développement ontogénique, objet premier de l’épigénétique. D’une façon plus générale, l’intérêt pour la DOHaD (Developmental Origins of Health and Disease), notamment au cours de la fameuse période des 1000 jours à compter de la conception, va être stimulé par les nouvelles configurations que propose les procréations avec tiers donneur. Une meilleure compréhension de la genèse embryonnaire s’ensuivra, et des thérapies originales, des « épi-médicaments » agissant sur l’épigénome, pourraient en résulter.

 

Alain Froment, médecin-anthropologue, IRD, Musée de l’Homme, Paris

=======================================================================================================

Notes

1 De Rosnay J. 2018.. La symphonie du vivant, Comment l'épigénétique va changer notre vie. Ed. Les Liens qui libèrent.

2 Lumey LH et al. 2007. Cohort profile: The dutch Hunger Winter Families Study. Int J Epidemiol. 36: 1196-1204.

3 Giacobino A. 2018. Peut-on se libérer de ses gènes ? L'épigénétique. Stock.

4 Fagny M. et al. 2015. The epigenomic landscape of African rainforest hunter-gatherers and farmers. Nature Communications 30: 10047.

5 Dagnino S. & Macherone A. 2018. Unraveling the Exposome, A Practical View. Springer.

6 Minders J. 2019. Bricolages « stratégiques » : l’épigénétique au secours des liens de parenté.  Anthropologie & Santé [en ligne], 18. URL : http://journals.openedition.org/anthropologiesante/4992.

7 Donkin I. et al. 2016. Obesity and Bariatric Surgery Drive Epigenetic Variation of Spermatozoa in Humans. Cell Metab .9: 369-378.

8 Lehrner A. & Yehuda R. 2018. Cultural trauma and epigenetic inheritance. Dev Psychopathol. 30: 1763-1777. Zammatteo N. 2014. L'impact des émotions sur l'ADN. Editions Quintessence. Perroud N. 2014. Maltraitance infantile et mécanismes épigénétiques. L’Information Psychiatrique 90: 733-739

9 Revue dans EPAIN L. & WILLI A. 2015. Rôle et implication de la PMA dans les phénomènes de programmation fœtale. A lire ici : http://dune.univ-angers.fr/fichiers/20090283/2015MFASMA3700/fichier/3700F.pdf

10 Maher E.R. et al. 2003. Epigenetic risks related to assisted reproductive technologies: epigenetics, imprinting, ART and icebergs? Human Reproduction 18: 2508-2511. Ventura-Juncá P. et al., 2015. In vitro fertilization (IVF) in mammals: epigenetic and developmental alterations. Scientific and bioethical implications for IVF in humans. Biological Research 48: 1-13. Vrooman L. A. & Bartolomei M. S. 2017. Can assisted reproductive technologies cause adult-onset disease? Evidence from human and mouse. Reproductive Toxicology 68: 72-84.

11 Rimm A. A. et al. 2004. A Meta-analysis of controlled studies comparing major malformation rates in IVF and ICSI infants with naturally conceived children. Journal of Assisted Reproduction and Genetics 21: 437-443. Simpson, J. L. 2014. Birth defects and assisted reproductive technologies. Seminars in Fetal and Neonatal Medicine 19: 177-182.

 12Catford S.R. et al. 2018. Long-term follow-up of ICSI-conceived offspring compared with spontaneously conceived offspring:a systematic review of healthoutcomes beyond the neonatalperiod. Andrology 6: 635-653. Hansen M. et al. Assisted reproductive technology and birth defects: a systematic review and meta-analysis. Hum. Reprod. Update 19: 330-353.

13 Roy M.-C. et al. 2017. The epigenetic effects of assisted reproductive technologies: ethical considerations. Journal of Developmental Origins of Health and Disease, 8: 436-442.